Stéphane URBAJTEL

Il parle avec des trémolos dans la voix, sous l'effet des anxiolytiques. Elle s'exprime de façon fluide, avec tonicité, dépitée de se retrouver au chômage mais «soulagée d'avoir quitté le système». David et Cécile ont 23 et 21 ans. Salariés au Carrefour Market de La Couronne, ils viennent d'engager des procédures contre leur employeur.

Parlent de «pressions», de «conditions de travail déplorables» et de «harcèlement». Cécile a été récemment licenciée pour «incitation et tentative de détournement de marchandise». Sa direction lui reproche d'avoir voulu récupérer des denrées périmées dans les rayons sans en informer sa hiérarchie.

«Un prétexte, juge-t-elle. Mon patron m'a toujours dit qu'il ne m'aimait pas.» David, lui aussi «impliqué» dans le prétendu «trafic», a été mis à pied. Cette péripétie, estime-t-il, n'est que «le petit truc en plus». «On me fait travailler plus sans me payer, je n'ai jamais d'horaires fixes, mes vacances ont sauté», liste-t-il.

«Politique de la peur»

Des témoignages comme ceux-là se recueillent à la pelle dans les coulisses des grands magasins. La publication récente de deux articles dans Charente Libre - sur l'ouverture du dimanche (31 octobre) et sur la procédure engagée par trois salariés d'Auchan (11 octobre) - a fait l'effet d'une soupape de cocotte-minute. «Les salariés des hypers n'ont jamais été autant sous pression, jure Jean-Eudes Buissart, délégué Force ouvrière à Auchan La Couronne. On se livre sur certains à un véritable acharnement. Le respect de la dignité des employés, ça n'existe plus.»

«Il y a quelques jours, ma supérieure m'a traitée de fainéant, de bon à rien. A moi et à mes collègues, elle a lancé: Il faut que la direction vous vire, raconte Philippe Vrignon, délégué CGT à la base Intermarché de Roullet. Ça fait dix-huit ans que je travaille ici: on ne m'avait jamais parlé aussi mal.»

«On nous rebat les oreilles avec France Télécom et ses suicides. Qu'on parle aussi de la grande distribution, martèle Christine Dhé, membre de la jeune section des salariés du commerce du Grand-Angoulême (1) et déléguée CGT. Je travaille dans un supermarché depuis trente ans. J'ai senti un changement des mentalités il y a environ un an.» «Chez nous, on ne peut pas parler de harcèlement mais de stress permanent», modère cependant Dany Aimé, déléguée CGT de Géant Casino.

Que s'est-il donc passé ces derniers mois?

«Ça a commencé avec le chambardement du changement d'enseigne», estime Michel Barré, délégué CGT de l'ex-Champion de Roumazières devenu Carrefour Market. Lui veut dire que les salariés des zones rurales ne sont pas épargnés par les pressions. «Les nouvelles techniques de management, ça a mis la zizanie. Nos responsables nous disent tout le temps qu'on ne va pas assez vite.»

«J'ai vu des caissières excédées, en larmes, à l'Intermarché de Barbezieux», affirme Philippe Vrignon.

«C'est une stratégie développée depuis six ou sept mois: de moins en moins d'employés, incités à en faire plus», reprend Dany Aimé, à Géant. «Il faut être toujours plus disponibles, ajoute Dany Gardisu, salariée chez Castorama à La Couronne.

 La pression monte pour nous inciter à travailler les dimanches.» Depuis peu, cette employée qui ne se sentait pas l'âme d'une syndicaliste a créé une section CGT dans son magasin. «C'était la seule solution pour se faire entendre. Si je peux vous parler sans peur aujourd'hui, c'est parce que je suis une salariée protégée.»

D'autres, effectivement, ne veulent pas prendre le risque de s'afficher au grand jour. «Les gens ne parlent pas parce que notre direction mène une politique de la peur», accuse Jean-Eudes Buissart. Il cite ainsi le cas «de mères de famille célibataires qui acceptent, au quotidien, les brimades et les engueulades sans se plaindre parce elles ont besoin de leur paye». «On leur dit que si elles ne sont pas contentes, il y en a dix qui attendent pour bosser.»

Ce boucher, lui non plus, ne donnera pas son nom. Il y a peu, il est venu raconter à son délégué du personnel comment son supérieur s'est amusé à lui «balancer de la viande à travers la figure». Pour l'humilier.

«Il sait que c'est intolérable, mais il nous a demandé de ne rien faire, explique le représentant syndical. Il a besoin de son boulot pour faire vivre sa famille.»

(1) Cette structure créée en janvier compte 80 syndiqués. Elle propose une rencontre autour des conditions

de travail dans la grande distribution aujourd'hui à 20h30 dans les locaux du Nil, rue de Bordeaux à Angoulême.